Nous sommes les 99% ! (Le Canard Enchaîne du 19/10/2011)
Nous sommes les 99%
BIEN sûr, on les regarde de haut et avec un peu d'inquiétude. ils n'ont pas de porte-parole identifié. Pas de revendication claire. Pas d'orga de masse derrière eux. Ça ne débouchera sur rien, voyons, rien de sérieux. Et puis cette appellation. Les « Indignés», Luc Ferry nous a déjà expliqué que c'était ridicule, de s'indigner. Trop facile. Ils s'indignent contre les inégalités, le chômage qui les frappe, les logements hors de prix, les privilèges, l'exclusion, la corruption, le capitalisme financier : tout ça ne fait pas un programme. Laissez les partis politiques faire leur boulot.
Tout a démarré en Espagne, le 15 mai, quand, à l'issue d'une marche contre la dictature des marchés, des milliers d'Indignados se sont installés à demeure, place Puerta deI Sol. Ou plutôt tout a commencé en Egypte, quand des milliers de manifestants ont campé place Tahrir pour chasser Moubarak du pouvoir. Ou plutôt tout a commencé quand « Indignez-vous! », le petit livre d'un jeune homme de 93 ans, Stéphane Hessel, s'est répandu comme une traînée de poudre à travers la planète. Bref, on ne sait plus quand ça a commencé.
Samedi dernier, voilà que le mouvement des Indignés a gagné 951 villes dans 82 pays : visiblement, quelque chose se cherche. Ils ont de bons slogans. « Occupy Wall Street! » : pas mal. « Nous sommes les 99 % » : bien vu. « Démocratie réelle, maintenant! » : oui. "Sans logement, sans boulot, sans aide financière, sans peur" : impeccable. Bon, ça n'atteint pas « Soyez réalistes, demandez l'impossible» de Mai 68, mais quand même.
Ils ont de bonnes initiatives : à New-York, ils ont des spécialistes de la "décrispation" qui interviennent pour désamorcer les conflits; à Bruxelles, ils forment une « brigade de clowns" pour parer aux dérapages. Cela n'empêche pas qu'à Rome leur manif se soit soldée par des échauffourées faisant 135 blessés. Ou qu'à Athènes, cet été, la police les ait délogés de la place Syntagma, après avoir coupé les réseaux Internet quelques heures.
Mais, en gros, eux qui se veulent résolument non violents tiennent bon. Ils savent que casser du flic ne fait pas avancer leurs idées d'un pouce. Leurs idées? Ils sont bien plus radicaux que ne le laisse croire leur apparence gentillette. Ils ne posent aucune revendication précise, genre « la retraite à 60 ans ». Ils veulent plus, beaucoup plus : une plus grande justice sociale; en finir avec un ordre économique mondial aberrant; mettre les politiques face à leur irresponsabilité; une démocratie qui n'en ait pas que le nom. Vaste programme ...
Selon l'anthropologue Fabrizio Sabelli (swissinfo.ch, 14/10), « pour beaucoup d'analystes, l'absence d'un leadership et d'une identification à un parti traditionnel représente le point faible de ces mouvements de protestation. Je suis en revanche convaincu que c'en est la force et l'originalité. En ce moment, il est nécessaire de dénoncer le système et ses contradictions, de pousser le peuple vers une prise de conscience collective, et les institutions politiques vers un renouvellement. C'est ensuite que viendra le temps des programmes, de la bureaucratie, des chefs ».
Et des Indignés de seconde génération!
Jean-Luc Porquet